Tout avait commencé une semaine avant le spectacle, le 22 février, quand j’avais reçu Julia Palombe chez moi pour répéter les textes sectionnés en vue de ma lecture publique. Il était 10h30 du matin. Dehors le froid glaçait les os, j’en avais éprouvé la rigueur en allant mettre une lettre à la poste. Les quelques pas que j’avais dû faire pour envoyer mon courrier avaient suffi à m’engourdir les mains et les jambes. Julia m’est apparue emmitouflée de fourrure, coiffée d’une chapka assortie à sa veste. Une femme comme je les aime : qui arbore outrageusement son sex-appeal, semblant dire à tous les coincés du cul, les inhibés que la femme discrète rassure dans leur virilité : « fuck off » ! Julia affichait une allure princière, que rehaussait son rouge à lèvres rouge, et son beau corps sculpté par l’exercice de la danse. C’est par ce biais, en parlant de cette passion commune pour le ballet, que le courant est passé très vite entre nous deux. Puis vinrent les répétitions. Humble, pour ne pas dire timide, j’ai commencé à débiter mon texte. A chaque debrief, j’écoutais sagement les conseils de l’artiste (je suis du genre bonne élève, je sais que j’ai tout à apprendre des pros et je ne moufte pas).
Puis elle est partie, apparemment confiante, m’assurant que ça allait bien se passer.
Entre temps, j’ai répété chez moi : mon passage « par cœur » dans mon bain ou en faisant la vaisselle, puis deux ou trois fois devant des proches. Ce qui m’énervait le plus, c’est que systématiquement ma langue fourchait sur certains mots, jamais les mêmes, du coup, que je ne pouvais pas m’y préparer. « Tant pis », me suis-je dit, « le soir venu, c’est sûr, tu achopperas aussi, le tout sera se rattraper aux branches avec panache. »
Quand est arrivé le jour J, le stress était bien là, à ma propre surprise : j’ai une grande habitude des interventions publiques, ainsi que des lectures érotiques, et en plus, j’aime ça. Pourquoi étais-je si angoissée au moment de préparer mon sac, au point de chercher pendant vingt minutes (au bas mot) les escarpins que je comptais porter, retournant tout dans les placards, pour finir par découvrir… honteuse…. que je les portais aux pieds depuis le début.
Parce que cette fois-ci, j’allais être sous les feux de la rampe, j’allais intervenir sur une scène où de vrais artistes feraient leur show. De quoi aurais-je l’air, moi, simple auteur, amatrice dans le milieu du spectacle ? Mes défauts scéniques seraient nécessairement mis en exergue par le professionnalisme des autres…
Mais comme j’ai un tempérament de fonceuse, qui ne recule pas devant l’obstacle, j’y suis allée, la fleur au fusil, me répétant le fameux « qui vivra verra », ou encore « et vogue le navire », deux phrases qui sont mes devises depuis toujours et qui, jusqu’à présent, ne m’ont pas desservie.
En arrivant sur le bateau, La Dame de Canton, j’étais un peu rassurée… C’était moins grand que je l’imaginais. Parler avec les autres artistes (tous charmants), me préparer en loge, grignoter au buffet, m’a décontractée au point où, lorsque le spectacle a commencé, j’avais presque oublié mon stress. Mais quand La Palombe a commencé son show, j’étais comme un petit moineau qui voletait de partout. Mon dieu ! Tout à mon imprégnation de l’ambiance chaleureuse et des gens, j’avais oublié de faire pipi, de remettre du rouge à lèvre, de boire de l’eau…
Le moment de mon entrée en scène est arrivé… très vite. Julia est venue me prendre par la main, une main que je sentais chaude et complice. Elle dansait le flamenco autour de moi. Danse que je ne maîtrise pas, dont je ne connais pas le rythme, et qui, pour tout dire, me parle peu. J’essayais tant bien que mal de taper des mains et des pieds au même rythme…. Mais bon, comment dire ? Heureusement que ce passage n’a pas été filmé… je crains d’avoir été pour le moins… godiche.
Puis est venue le moment où je me suis retrouvée seule. « Octavie, la scène est à toi », m’a dit Julia.
Vous pouvez voir, ou plutôt écouter, ma prestation là (désolée pour la médiocrité de la vidéo). Mon cœur battait fort au début. Et puis, comme toujours, l’aisance est venue, après les premières phrases. J’étais bien. Le texte me portait. Je lisais, bercée par les accords de guitare de Sergio, qui m’a accompagnée avec brio.
Dire des cochonneries m’amuse, c’est peu dire, ce n’est même pas assez du tout. C’est pour moi comme une bouffée de délivrance. Dans son genre, il s’agit d’un jeu de teasing avec le public, au même titre que le show d’une effeuilleuse, sauf que là, j’asticote les spectateurs avec des mots et non pas avec des vêtements que j’ôte, ou des parties de mon corps que je dévoile. Et pourtant je me dévoile, à ma manière. Je ne raconte pas ma vie, non, mais je clame haut et fort le désir féminin, dans ce qu’il a de puissant, de bestial, de pulsionnel, je suis une femme qui dit « queue », « chatte », « mouiller », « baiser », « perforer » quand tant d’autres le pensent pour s’exciter pendant l’acte. Alors il faut que ça « éclate », car je suis un peu leur porte-parole. C’est mon but quand j’écris un texte érotique : exprimer par des mots choisis, toutes ces choses du sexe, trop souvent passées sous silence, mal dites, ou mal interprétées. Or, à cet instant de lecture en public, ma mission prend d’autant plus d’importance que j’ai la parole, je lis ces mots, faits pour être découvert en silence, à haute voix, si bien que leur portée est décuplée.
J’exprime l’obscène du désir féminin devant un public tout ouïe…. Et ça fonctionne, ça coule tout seul, les phrases s’enchaînent, jaillissent, s’entremêlent. Je parviens à faire exploser l’orgasme de mon gosier.
Lorsque les passages comiques sont arrivés, j’étais définitivement à l’aise. Espiègle, je voulais surprendre les spectateurs. Après un passage à l’érotisme « sérieux » dirons-nous : la déconnade. J’avais envie de faire le show, de leur monter toute la palette de couleurs de Sex in the kitchen (eh oui, dans l’histoire je faisais la promo de mon bouquin, l’air de rien, donc je DEVAIS mettre en avant les qualités du textes.) qui n’est pas qu’un livre érotique, mais aussi et surtout une comédie. Il fallait que je les fasse rire. Ma foi, je crois bien qu’ils l’ont fait, de bon cœur, à plus d’une reprise, on l’entend sur la vidéo. Rien ne pouvait me faire plus plaisir. Hélas, comme je le redoutais, ma langue à fourché, dans le dernier sketch (ma concentration devait baisser, du fait de ma décontraction et de l’arrivée imminente de la fin), et vraiment pas au bon moment, car c’est un passage où réside une partie du comique. Je m’en veux, mais je me dis que je ferai mieux la prochaine fois.
Et puis ce fut fini, j’eus droit à des applaudissements que je recueillis modestement, tout à me reprocher mes faux-pas. Déchargée de la pression, j’ai pu apprécier le spectacle comme un membre du public, et dieu sait que ça déménageait ! Julia et sa petite troupe ont fait tanguer la Dame de canton de leur énergie, leur espièglerie et de leur sex appeal. J’ai adoré la chanson « Le sexe tue », « mon mec, c’est une bombe », ainsi que le charmant duo de Julia avec Minnie Valentine. Quant au numéro d’effeuillage de la belle blonde : quel ravissement pour les yeux !
Ma dernière surprise, et non des moindres, est survenue à la fin. Julia m’avais prévenue qu’au final, tous les artistes reviendraient saluer pour recevoir dûment leurs applaudissements, ce que j’ai fait… C’était très étrange, grisant, valorisant, et à la fois irréel. D’habitude, c’est moi qui suis dans le public et qui, pleine de gratitude, applaudis les danseurs ou les chanteurs à m’en échauffer les paumes… Avais-je vraiment fait si bonne impression ou était-ce des applaudissements de courtoisie ? Le saurai-je jamais ?
C’est alors que Julia nous a offert un « bis » en chanson, d’une grande gaîté et tous les artistes se sont mis à danser pour accompagner la Palombe, à jouer avec le public. De quoi aurais-je eu l’air plantée comme un piquet parmi cette joyeuse bande ? Je n’avais pas d’autres choix que de me mêler à leur farandole. Je passe sur ma façon bien gauche de bouger mon corps, à contretemps avec les autres, écrasant de nombreux pieds au passage… Le plus étonnant, c’est que je me suis vue faire de choses que je n’aurais pas imaginer faire trois heures avant.
Imprégnée par l’ambiance burlesque, l’implication du public dans le jeu, voilà que j’ai soulevé ma jupe d’un air ingénu pour laisser voir mes cuisses et mon porte-jarretelles, puis j’ai mimé un petit jeu lesbien avec Minnie Valentine, qui, me voyant improviser, m’a gentiment traitée de coquine, clin d’œil à l’appui… J’étais gagnée par la joie de l’endroit, désinhibée par la réceptivité du public, et surtout heureuse d’offrir, de m’offrir, de jouer avec les spectateurs.
Je suis ressortie assez abasourdie de ce moment. J’avais pris mon pied. Tout simplement.
Alors, je vous le dis mes amis et lecteurs, même si ça ne doit rester que l’affaire d’un soir, je crois bien avoir découvert le secret (que je ne saurais pourtant décortiquer) du goût de la scène, cette énergie qui vous pousse à y aller, même si le stress avant le spectacle vous tord les boyaux. Il y a quelque chose de jubilatoire dans le partage avec le public, quelque chose que l’on ne retrouve pas ailleurs, qui ne convient sans doute pas à tout le monde, mais qui, en tout cas, m’a plu. D’ailleurs, dès le lendemain, je n’eus qu’une envie : remettre le couvert.
Mais, consciente de mes imperfections, savez-vous ce que je vais faire demain ?
Je prends mon premier cours de danse burlesque avec la délicieuse, l’affriolante, l’affolante, la délirante, Julia Palombe. Je ne sais où cela me mènera, je ne me projette pas. Mais une chose est sûre, j’ai hâte d’y être ! Qui m’aime me suive…